Le célèbre journal britannique The Economist descend l’Algérie
« L’ALGÉRIE NOURRIT UNE VIRULENCE OBSESSIONNELLE » À L’ÉGARD DU MAROC
Autant dire que le célèbre journal britannique n’y a pas été avec le dos de la cuillère pour décrire ce qu’il qualifie d’emblée de «malaise» algérien. Des sentiments d’humiliation et d’oppression qui règnent dans la rue, à une économie morose, un système militaro-politique répressif… Un cocktail explosif qui n’augure rien de bon.
Dans cet article publié le 18 novembre 2022, The Economist se penche sur le cas de l’Algérie afin d’en livrer un diagnostic au scalpel.
Pour le journal britannique, il n’y a pas l’ombre d’un doute, «lorsque les prix de l’énergie chuteront à nouveau, l’Algérie vacillera…»
Un constat réaliste et accablant pour un pays qui ne doit son salut qu’au gaz. «Sauvé par le gaz», «le régime pourri de l’Algérie a eu de la chance», estime The Economist.
Mais jusqu’à quand ce pays pourra-t-il compter sur ce facteur chance aléatoire?
C’est la question qui se pose tout au long de cette lecture qui, comme premier élément de réponse, prend le pouls de la rue algérienne pour mieux appréhender la colère qui gronde en sourdine et l’instabilité d’un pays gangrené par bien des maux.
Les trois leviers de pression du régime algérien pour museler le peuple
«Deux mots du lexique local résument le malaise de l’Algérie: hogra et haraga», est-il résumé pour traduire la morosité ambiante, «un sentiment d’humiliation et d’oppression, un déni de dignité…», qui aboutissent par conséquent à la fuite du pays par un nombre croissant d’Algériens, qui jouent leur vie à pile ou face en faisant une traversée périlleuse de la Méditerranée.
En effet, depuis le début de l’année, ils sont déjà quelque 13.000 à avoir atteint les côtes espagnoles au péril de leur vie, rapporte la publication.
Quant à ceux qui obtiennent des visas d’étudiants, «90% ne reviennent pas à la maison», témoigne une source du média qui a requis l’anonymat.
L’hémorragie est à ce stade très grave, et pour tenter de la colmater, le régime a choisi d’étouffer ce mécontentement de la rue algérienne en activant trois leviers de pression, analyse l’auteur de l’article.
Le premier est le prix élevé du gaz et du pétrole, dont l’Europe a soif, et qui représentent 90% des recettes en devises.
Mais jusqu’à quand, étant donné que la «consommation intérieure croissante de gaz limite la possibilité d’en exporter davantage…»
Ensuite, intervient le deuxième levier, à savoir les subventions massives accordées aux produits de premières nécessité, à l’instar des aliments de base, de l’électricité, de l’huile de table, de l’essence et du logement.
Mais là encore, cette manière de faire a ses limites car, cela n’empêche pas l’économie d’être «morose» avec une «croissance économique souvent à la traîne par rapport à la croissance de la population», qui compte environ 45 millions d’âmes et un taux de chômage qui avoisine les 15%, avec un score bien plus élevé chez les jeunes.
Enfin, ce qui maintient un couvercle fragile sur cette véritable boîte de Pandore, c’est «le souvenir persistant de terribles épisodes de violence à l’échelle nationale», notamment au cours de la décennie noire qui débute en 1992, «lorsque le régime militaire a annulé le second tour d’une élection que les islamistes avaient remporté, provoquant une guerre civile au cours de laquelle les Algériens ont tué entre 150.000 et 200.000 de leurs compatriotes», est-il rappelé.
Ce souvenir vivace d’atrocités commises entre frères de même sang crée une situation conflictuelle, car si nombreux sont ceux qui«détestent la stagnation de la situation actuelle et craignent l’appareil militaire et de sécurité qui la sous-tend», ils préfèrent toutefois cette situation, pourtant intenable, «au chaos et au bain de sang qui selon eux pourraient s’ensuivre si le couvercle de la répression était levé».
La messe est dite, la terreur est la principale ressource du régime en place.
Une économie asphyxiée par la méfiance du pouvoir à l’encontre des investisseurs étrangers
La situation économique algérienne aurait pu s’améliorer un tant soi peu si le pays avait consenti à s’ouvrir aux investissements étrangers, sans obligation de s’associer à plus de 50% avec des entreprises algériennes, généralement publiques, comme le prévoyait une loi adoptée en 2019.
Mais en lieu et place de cela, c’est à la suspicion des cercles officiels que les potentiels investisseurs sont confrontés.
«Les obstacles bureaucratiques, l’incompétence flagrante et une attitude hostile à l’égard des capitaux étrangers, en particulier français et américains, découragent toujours les étrangers», est-il ainsi expliqué.
Et parmi les nombreux obstacles à l’investissement, l’auteur cite le flou qui règne sur le devenir des bénéfices et leur rapatriement.
L’auteur cite également encore «l’imposition apparemment aléatoire des droits de douane sur les importations», la corruption qui règne en maître, et enfin, «la léthargie et l’incompétence des fonctionnaires…»
Tenter d’aller à l’encontre de ce système s’avère dangereux, car au même titre que le peuple est muselé grâce à la peur, les hommes d’affaires, eux aussi, marchent sur des œufs.
Et pour cause, ceux «qui se heurtent aux autorités ou à des rivaux bien placés sont souvent accusés de corruption ou d’évasion fiscale et finissent en prison».
Un parallèle s’impose, tout naturellement: «cet environnement commercial paralysant reflète la nature de la politique algérienne», est-il établi.
Abdelmadjid Tebboune, sauvé du Hirak par le Covid-19 et la guerre en Ukraine
Après avoir effectué un bond chronologique pour revenir en 2019, année au cours de laquelle ont éclaté dans tout le pays des manifestations pacifiques suite à l’annonce par un Abdelaziz Bouteflika malade de son intention de briguer un cinquième mandat, après vingt ans passés à la tête de la présidence du pays, The Economist s’intéresse à celui qui lui a succédé, Abdelmadjid Tebboune.
Décrit comme «un ancien ministre terne et de longue date de Bouteflika», dont le nouveau régime est «sensiblement le même que (celui de) son prédécesseur», le nouveau Président «n’a été sauvé que par l’arrivée du Covid-19 en 2020, qui a fait s’éteindre le Hirak, et par la flambée des prix du gaz et du pétrole après l’invasion de l’Ukraine par la Russie», juge The Economist.
Et de s’interroger sur la vraisemblance de l’émergence prétendue d’«une figure véritablement réformatrice et libéralisatrice à la Gorbatchev» au sein de ce que l’on désigne par le «pouvoir», autrement dit «le cercle obscur des personnalités qui tirent encore les ficelles».
Abdelmadjid Tebboune peut-il incarner ce rôle?
C’est fort peu probable, à en juger par la suite de l’article qui se base sur l’avis de nombreux initiés mais aussi sur celui d’Emmanuel Macron qui avait décrit son homologue algérien, «avec justesse», comme étant «piégé dans un système militaro-politique».
Abdelmadjid Tebboune «n’est guère plus qu’une figure de proue» à la tête d’un pays dont «personne ne sait vraiment qui est aux commandes», commentent d’ailleurs diplomates et hommes d’affaires dans la publication.
Le Maroc, Israël et la presse française… Les obsessions du pouvoir pour mieux cacher ses fragilités
La conclusion de l’article de The Economist est sans appel et expose à une lumière crue la terrible débâcle qui guette le régime en place en Algérie.
Dans ce pays où, au même titre que les investisseurs étrangers ne sont pas en odeur de sainteté, «les ONG étrangères sont pratiquement interdites», il en va de même pour la presse étrangère, notamment française, qui ne dispose d’aucun correspondant sur place.
Ainsi, pour mieux asseoir le discours officiel du régime en place, qui ne souffre aucune critique, ni aucune contestation d’aucune sorte, la junte algérienne peut compter sur les médias officiels «pathétiquement flagorneurs», qui relaient «des déclarations officielles qui ont tendance à être imprégnées d’un mélange de vantardise et de paranoïa».
Une paranoïa dont le Maroc est d’ailleurs le principal sujet.
En effet, est-il relevé, «les médias officiels font également preuve d’une virulence obsessionnelle à l’égard du Maroc voisin», mais aussi d’Israël qui fait l’objet des attaques de ce régime et de ces médias.
Une position exprimée, relève l’article pour exemple, par «un professeur d’histoire (qui) affirme sans détour que les médias d’opposition et le Hirak étaient infiltrés par le Mossad, le service de renseignement israélien, et étaient souvent soudoyés par le Maroc».
Mais, est-il analysé, cette campagne de bashing à l’encontre du Maroc, menée par le régime algérien, est d’autant plus virulente que «le vent diplomatique pourrait tourner en défaveur de l’Algérie dans sa campagne visant à obtenir l’indépendance du Sahara occidental».
Ainsi, bien que le Maroc soit accusé de tous les maux de l’Algérie, à en croire les médias officiels du pays, la vérité est ailleurs.
«La vérité est que l’économie et la politique de l’Algérie sont toutes deux sclérosées, que son leadership est répressif, mais faible, que son rôle en Afrique et dans le monde arabe est auto-considéré, mais non apprécié», est-il ainsi dressé dans un constat accablant.
Alors quel avenir pour cette «Algérie (qui) se pose toujours en championne du mouvement mondial des non-alignés»?, se demande-t-on.
La réponse de The Economist laisse redouter le pire pour le régime en place: «si le prix du gaz et du pétrole devait chuter brusquement, il est difficile de voir comment ce régime opaque et pourri pourrait survivre».