Crise autour de la tomate marocaine : entre succès en France, colère des producteurs et nécessité d’un nouveau modèle stratégique
Alors que la tomate marocaine s’impose comme un produit incontournable sur le marché français, cette réussite commerciale suscite une vive contestation des producteurs hexagonaux. Les tensions montent, les actions de protestation se multiplient et les accords douaniers sont remis en cause. Dans ce contexte instable, la filière marocaine est de plus en plus poussée à repenser en profondeur son modèle, en misant sur la qualité, la valeur ajoutée et la diversification internationale.
Un succès commercial qui attise les tensions en France
La tomate marocaine cartonne en France, mais provoque une forte colère des producteurs français. Face aux blocages et à la pression politique, le Maroc est invité à revoir sa stratégie d’exportation : qualité, diversification, produits transformés et nouvelles plateformes logistiques.
La tomate marocaine, notamment en période hivernale, connaît un essor remarquable sur les étals français. Sa compétitivité en matière de prix, sa disponibilité constante et la montée en gamme de certaines variétés en font un acteur majeur du marché européen. Pourtant, derrière cette performance, les résistances deviennent de plus en plus visibles. Les producteurs français dénoncent une concurrence qu’ils jugent déloyale, estimant que les importations massives de tomates marocaines fragilisent leur activité et entraînent une pression excessive sur les prix.
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Le malaise s’est manifesté violemment mercredi dernier à Perpignan. La Confédération paysanne a mené une opération coup de poing, ciblant une plateforme logistique franco-marocaine ainsi qu’un supermarché. L’objectif des manifestants : dénoncer la baisse drastique des prix, en particulier pour les tomates cerises, et attirer l’attention sur ce qu’ils considèrent comme un déséquilibre structurel dans les échanges agricoles entre les deux pays.
Un cadre douanier contesté et des négociations au point mort
Ces incidents interviennent dans un climat diplomatique délicat. Le comité mixte franco-marocain, réactivé récemment pour apaiser les tensions commerciales et agricoles, peine à produire des résultats tangibles. Les discussions se poursuivent mais demeurent sans avancée concrète, ce qui entretient un climat d’incertitude pour les professionnels des deux rives.
Au cœur des critiques françaises se trouve le système des prix d’entrée de l’Union européenne, un mécanisme qui fixe des seuils minimaux afin de protéger les producteurs européens. Les agriculteurs français assurent que ce dispositif ne prend pas en compte les variétés premium, comme les tomates cerises ou grappe, dont la valeur ajoutée nécessite un traitement différent. Parallèlement, un rapport officiel français recommande d’ailleurs un examen approfondi de ces flux d’importation d’ici 2026, preuve que le sujet est devenu sensible au plus haut niveau.
L’accord de libre-échange de 2012 continue pourtant de structurer ces échanges. Il autorise l’exportation de 285 000 tonnes de tomates marocaines en hiver sans droits de douane. Toute révision de cet accord apparaît complexe, tant sur le plan politique que technique, ce qui pousse à envisager d’autres pistes pour la filière marocaine.
Vers une nouvelle stratégie marocaine : “exporter moins, mais mieux”
Face à ce contexte de tensions et à la montée de la contestation en France, plusieurs voix s’élèvent pour encourager une mutation profonde du modèle d’exportation marocain. L’expert agricole Saâd Raissi, cité par L’Economiste, souligne que les producteurs français disposent d’un poids politique important et que leurs revendications trouvent un écho direct auprès des autorités européennes. Dans ce contexte, il estime indispensable d’adopter une stratégie plus sélective et plus qualitative.
Selon lui, le Maroc doit viser une montée en gamme, en misant sur des tomates de très haute qualité, capables de contourner les dispositifs de sauvegarde européens et de justifier des prix plus élevés. Cette approche permettrait également de renforcer la compétitivité du Royaume en mettant en avant des critères différenciants : goût, durabilité, traçabilité et innovation variétale.
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Diversifier les marchés et renforcer l’autonomie logistique
La dépendance au marché européen est identifiée comme l’un des principaux risques actuels. Pour réduire cette vulnérabilité, Saâd Raissi recommande de développer davantage le marché national, encore sous-exploité, mais aussi d’accélérer les investissements dans l’agroalimentaire, notamment dans les produits transformés à base de tomate, qui offrent une meilleure résilience commerciale.
Il met également en avant l’importance stratégique d’explorer d’autres débouchés, notamment dans les pays du Sud, où la demande en produits frais et transformés augmente régulièrement. Cette diversification géographique permettrait au Maroc de stabiliser ses revenus agricoles tout en réduisant sa dépendance aux décisions politiques européennes.
Enfin, l’expert insiste sur un point crucial : la nécessité pour les exportateurs marocains de disposer de leurs propres plateformes logistiques en Europe. Ce contrôle des infrastructures permettrait de limiter les risques liés aux actions unilatérales ou aux protestations ciblant les importations marocaines, comme cela a été observé récemment en région Occitanie.

