(Vidéo) Algérie : vers un retour du hirak ?
Algérie: #Manish_radi : vers un retour du hirak ?
Le hashtag #Manish_radi (qui signifie « Je ne suis pas d’accord » en arabe dialectal algérien) a émergé comme un puissant symbole du mécontentement croissant en Algérie face à la domination de l’armée sur la vie politique et économique du pays. Il exprime une colère populaire sans précédent, nourrie par des années de frustrations, et appelle à un véritable changement de régime. Ce mouvement, qui a pris de l’ampleur aussi bien à l’intérieur du pays qu’au sein de la diaspora algérienne, vise à remettre en question le rôle prépondérant de l’armée dans les affaires de l’État et à exiger la restitution du pouvoir aux civils.
L’initiative #Manish_radi a été lancée par des activistes algériens, qui appellent l’armée à se concentrer sur son rôle légitime de défense des frontières et à quitter la sphère politique. Ce rejet de l’ingérence militaire dans la gestion du pays s’inscrit dans un contexte de détérioration des conditions de vie des Algériens, exacerbée par une gestion économique inefficace et par une mainmise de plus en plus visible de l’armée sur toutes les sphères du pouvoir. En effet, des dizaines de vidéos, diffusées sur les réseaux sociaux, montrent des Algériens exprimant leur frustration face à la crise économique, sociale et politique que traverse le pays.
L’appel à l’instauration d’un gouvernement civil, élu par le peuple et non imposé par l’armée, s’accompagne d’un rejet de l’ »armée politique » qui, selon les activistes, empêche toute possibilité de réforme réelle. La campagne a immédiatement trouvé un écho auprès de nombreux citoyens, d’autant plus que l’Algérie connaît une période de grande précarité socio-économique. En parallèle, des appels se multiplient pour organiser de nouvelles manifestations de rue, sur le modèle du Hirak de 2019, afin de demander la fin du régime militaire et l’instauration d’un véritable État civil.
L’histoire de la domination militaire
L’armée algérienne joue un rôle central dans la politique nationale depuis le coup d’État de 1965, lorsque le ministre de la Défense Houari Boumediene renversa le premier président civil, Ahmed Ben Bella, pour établir un régime militaire qui perdure encore aujourd’hui. Depuis lors, les militaires ont toujours été les véritables maîtres du pays, même si l’Algérie a formellement adopté une Constitution républicaine. L’armée a systématiquement imposé des présidents, souvent sans réelle légitimité populaire, et a exercé une pression constante sur la politique économique, extérieure et intérieure.
Le rôle de l’armée est devenu encore plus prononcé ces dernières années avec la montée en puissance du général Saïd Chengriha, chef d’état-major de l’armée, qui cumule également la fonction de ministre délégué à la Défense. Il est perçu comme le véritable homme fort derrière la présidence d’Abdelmadjid Tebboune, qui semble avoir peu de pouvoir réel. Chengriha, tout comme ses prédécesseurs, tire les ficelles de l’État algérien et garde un contrôle total sur les décisions politiques majeures, à la fois dans la gestion interne du pays et dans la politique étrangère.
Ce contrôle militaire a des conséquences dramatiques sur la gestion du pays. L’Algérie, pourtant riche de ressources naturelles (notamment le pétrole et le gaz naturel), peine à diversifier son économie. En l’absence de réformes sérieuses, elle reste dépendante de ses exportations d’hydrocarbures, ce qui expose son économie à des fluctuations mondiales et à la chute des prix du pétrole.
L’impact économique : pénuries, inflation et récession
Depuis quelques années, les choix économiques du régime militaire ont aggravé la crise économique en Algérie. L’une des mesures les plus controversées a été la réduction drastique des importations, justifiée par la volonté de sauver le dinar algérien et de limiter la fuite des devises. Cependant, cette politique a provoqué une grave pénurie de biens de consommation courante, tels que des voitures, des appareils électroniques et des produits alimentaires, comme le café. En conséquence, les Algériens ont vu leur pouvoir d’achat chuter, avec une inflation galopante et une récession économique persistante.
La situation est d’autant plus préoccupante que l’Algérie ne produit que peu de biens de consommation autres que le pétrole et le gaz. Cette dépendance aux importations a, en outre, exacerbé les pénuries internes, impactant l’ensemble du commerce et des industries locales. La baisse des importations a également conduit à une stagnation du secteur privé, déjà fragilisé par l’omniprésence de l’État et de l’armée dans les affaires économiques.
Le paradoxe est que, malgré cette crise économique et les souffrances des citoyens, le gouvernement algérien a alloué un budget faramineux de 25 milliards de dollars pour l’armement en 2025. Ce choix de privilégier les dépenses militaires plutôt que les investissements dans le développement économique ou social a attisé la colère des Algériens, qui se sentent abandonnés par un régime obsédé par la sécurité intérieure et extérieure, au détriment de leurs besoins fondamentaux.
Le soulèvement populaire et le Hirak
Les revendications exprimées par les activistes à travers #Manish_radi ne sont pas nouvelles. En 2019, l’Algérie a été secouée par un vaste mouvement populaire, le Hirak, qui a vu des millions de citoyens descendre dans les rues pour protester contre la candidature d’Abdelaziz Bouteflika pour un cinquième mandat présidentiel. Bien que le mouvement ait initialement été déclenché par la question de la prolongation du mandat de Bouteflika, il s’est rapidement élargi pour exiger la fin du régime militaire et la mise en place d’un véritable gouvernement civil.
Pendant des mois, des manifestations pacifiques ont défiguré les grandes villes d’Algérie, et les slogans « Dawla madaniya, machi askaria » (un État civil et non militaire) ont résonné dans tout le pays. Cependant, le régime militaire a répondu par une répression brutale, arrêtant des centaines de militants, dont certains ont été condamnés à de lourdes peines de prison. D’autres, dans le but d’échapper à la persécution, ont été contraints de fuir le pays.
Malgré l’intensification de la répression, le Hirak a marqué un tournant dans la prise de conscience collective du peuple algérien. La mobilisation populaire de 2019 a permis à la jeunesse du pays de s’unir autour de l’idée d’un changement radical du système, d’une transition vers un État civil où les civils auraient une voix réelle, et non l’armée.
Une crise profonde, une réponse urgente
Le hashtag #Manish_radi est donc bien plus qu’une simple contestation : c’est un cri de désespoir et un appel urgent à un changement de cap pour le pays. Les revendications sont claires : un retrait de l’armée des affaires politiques, un renouveau démocratique porté par un gouvernement civil, et la possibilité pour les Algériens de reconstruire leur avenir dans un cadre plus transparent et plus participatif.
Aujourd’hui, la situation est de plus en plus intenable. La crise sociale et économique s’aggrave, la répression contre les militants politiques et les journalistes se renforce, et le pays est toujours en proie à un isolement international croissant. Le peuple algérien doit choisir entre continuer à subir la domination de l’armée ou se lever pour exiger un véritable changement, un changement qui briserait les chaînes d’une dictature militaire et offrirait enfin aux Algériens une chance de bâtir un avenir plus prospère et plus démocratique.
La question qui se pose désormais est de savoir si, avec la résilience de son peuple et la montée en puissance des contestations à travers des initiatives comme #Manish_radi, l’Algérie pourra sortir de l’ombre de son passé militaire et ouvrir une nouvelle page d’histoire fondée sur la liberté et la souveraineté civile.