vendredi, novembre 22, 2024
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Brahim Ghali devant la justice: un fiasco de l’Algérie et de l’Espagne

Brahim Ghali devant la justice: le récit d’un fiasco signé Alger-Madrid




La comparution, actée, du chef du Polisario devant la Justice espagnole, mardi 1er juin, signe l’échec d’une stratégie d’évitement adoptée par le front séparatiste et ses soutiens à Alger et Madrid. Voici le film des événements qui ont, au final, donné raison au Maroc, même si la confiance de Rabat envers son voisin du nord est largement entamée.




Brahim Ghali sera finalement entendu par la Justice espagnole. Le chef des séparatistes du Polisario comparaît mardi 1er juin prochain à 10h00 heures locale, par visioconférence, devant le juge d’instruction Santiago Pedraz, de la Audiencia Nacional, la plus haute juridiction pénale en Espagne.

Ce sera depuis sa chambre à l’hôpital de San Pedro, à Logroño, où il a été admis à la fin du mois d’avril dernier pour des complications liées au Covid-19.

Citée par l’agence officielle espagnole d’information, EFE, une source judiciaire a certifié que cette audition aura bel et bien lieu. Cette comparution est «certaine» et «toutes les garanties quant à son déroulement ont été réunies», a-t-elle assuré.




Remis sur pied après un mois d’hospitalisation et de convalescence, le chef séparatiste, âgé de 72 ans est en état d’être entendu.

Au grand dam d’Alger qui a tout fait pour éviter au soi-disant président d’un Etat de comparaître devant la justice comme un criminel. Les charges qui pèsent sur Brahim Ghali sont lourdes. Deux plaintes majeures, sur un total d’au moins quatre, ont été retenues contre lui et il devra y faire face dès ce mardi.

La première est portée par l’activiste Fadel Breica, un citoyen espagnol d’origine sahraouie, qui poursuit Ghali et d’autres membres du Polisario pour des faits de torture subis dans les camps du Polisario de Tindouf (en Algérie) en 2019.




Fadel Breica accuse aussi Brahim Ghali & co de détention illégale et d’atteintes graves aux droits de l’homme. La seconde plainte émane de l’Association sahraouie pour la défense des droits de l’homme (Asadeh).

Brahim Ghali y est accusé de génocide, de meurtre, de terrorisme, de torture et de disparitions, entre autres, avec comme marqueur l’assassinat de près de 300 ressortissants espagnols, dont des pêcheurs, aux larges des îles Canaries.

La réouverture de ce dernier dossier est d’autant plus importante que l’enquête, enclenchée depuis 2008, avait failli être classée en 2020 en raison de l’absence de réponse de l’Algérie, qui accueille et protège les dirigeants du Polisario, à des convocations formulées trois ans plus tôt par la justice espagnole.




Mépris de la loi

À elle seule, cette comparution du séparatiste en chef est vécue comme une humiliation par la direction du Polisario et par son tuteur algérien. Admis dans le secret le plus total sur le sol espagnol sous une fausse identité, celle d’un citoyen algérien dénommé Mohamed Benbatouche, Brahim Ghali devait en sortir, sans coup férir, une fois remis de sa maladie.

Dans l’illégalité la plus absolue et dans des circonstances dignes d’un mauvais polar qui a vu les autorités espagnoles se rendre complices d’une junte militaire algérienne habituée aux pratiques mafieuses pour arriver à ses fins.

Le tout, au mépris de l’Etat de droit et des droits de l’homme dont se réclame la démocratie européenne qu’est l’Espagne. La direction du Polisario et le régime algérien, par la voix de son agence de presse, ont mis plusieurs jours avant de reconnaître que Brahim Ghali se trouvait en Espagne.




Même quand la cheffe de la diplomatie espagnole a reconnu que Brahim Ghali avait été accueilli en Espagne «pour des raisons strictement humanitaires», le Polisario et le pouvoir algérien ne se sont résolus à citer le pays où est hospitalisé le séparatiste en chef qu’après que le scandale de son affaire a fait le tour du monde.

Ce qui le signe de leur extrême gêne et de leur impréparation totale à un scénario où le transfert de Ghali de l’Algérie en Espagne aurait été éventé.

Il y a pire que la révélation d’une opération, supposée demeurer secrète: la convocation de Brahim Ghali par la justice. Ce dernier avait, dans un premier temps, refusé de signer sa convocation devant la Justice, au motif qu’il devait au préalable en référer à ses supérieurs algériens, par la voix de l’ambassade d’Alger à Madrid, et «à des personnes de confiance».




Il a finalement dû céder et a fini par nommer un avocat, en la personne de Manuel Ollé, spécialiste du droit pénal international et rémunéré dans cette affaire sur le dos du contribuable algérien, étant donné que ce sont les généraux aux commandes chez le voisin de l’Est qui vont payer la note. Celle-ci promet au demeurant d’être salée.

Si Brahim Ghali a accepté de comparaître, c’est que ces mêmes généraux ne lui en ont pas laissé le choix. Entre sa première réaction de refus et la seconde où il a déclaré consentir à se présenter devant le juge d’instruction, une délégation militaire a fait l’aller-retour, le lundi 24 mai, d’Alger à Madrid.

Une série de réunions avec des commandants militaires espagnols de l’état-major général de la défense ont eu lieu ce jour-là, probablement pour négocier une «autre» sortie, soit une exfiltration du chef du Polisario.




Hasard du calendrier ou suite logique d’évènements tels que voulue par Alger, l’arrivée de la délégation algérienne est intervenue au lendemain de la sortie médiatique du bras droit de Brahim Ghali, le dénommé Salem Lebsir.

Ce dernier a affirmé sans sourciller au média Ok Diario que le patron du Polisario ne comparaîtra pas le mardi 1er juin 2021 devant le juge Santiago Pedraz. «Il quittera l’Espagne, il n’ira pas devant le juge», a ainsi affirmé Salem Lebsir.

Survenue au plus haut de la crise entre l’Espagne et le Maroc, qui dénonce un accueil illégal d’un supposé criminel de guerre au pays même où il est objet de plaintes, cette hypothèse d’une «grande évasion» a mobilisé tous les services de sécurité en Espagne, qui ont instauré une surveillance rapprochée et 24h/24 pour éviter que Brahim Ghali ne s’échappe.




Une éventuelle fuite équivaudrait à jeter de l’huile sur le feu, déjà bien attisé, de la crise entre le Maroc et l’Espagne à cause de cette affaire.

Par la voix de son ministre des Affaires étrangères, Nasser Bourita, comme de l’ambassadrice du Souverain à Madrid, Karima Benyaich, le Royaume a été on ne peut plus clair: toute sortie du territoire espagnol par le même procédé ayant présidé à son admission (secret, fausse identité, illégalité) ne fera qu’aggraver la situation. Ce sera l’escalade de trop qui constituerait un point de rupture dans les relations entre les deux pays…

Les autorités espagnoles semblent vouloir l’éviter, mais sans rompre l’engagement donné au régime algérien: Brahim Ghali quittera l’Espagne après sa rémission sans être inquiété.




Une confiance trahie

Cette comparution constitue à ce titre une défaite pour l’actuel gouvernement espagnol, dirigé par Pedro Sánchez.

Ce dernier a non seulement apporté des garanties au pouvoir algérien, sa ministre des Affaires étrangères ayant dans un premier temps certifié que Brahim Ghali, une fois guéri, quittera l’Espagne pour «son pays», mais ne doutait pas du degré d’incompétence des services de renseignements algériens qui n’ont pas su garder secrète l’opération.

Résultat: l’Espagne se retrouve empêtrée dans une grave crise avec le Maroc, alors que l’enjeu n’en valait pas la peine. La Justice espagnole, supposée indépendante, a rejeté la demande de l’Association sahraouie de défense des droits de l’homme.




Celle de décréter des mesures conservatoires contre Ghali (retrait du passeport et placement sous surveillance judiciaire) pour éviter sa fuite. En dépit de cette fin de non-recevoir, Brahim Ghali devra répondre des accusations gravissimes dont il fait l’objet.

Si une première justice est d’ores et déjà rendue avec cette première audition, rien ne dit cependant que l’Espagne ne va pas intervenir pour saboter le cours normal d’un procès à venir.

À l’apaisement, Madrid a ces derniers jours opté pour l’escalade. Preuve en est la sortie, pour le moins hasardeuse, de la première vice-présidente du gouvernement espagnol, Carmen Calvo, à la télévision régionale andalouse Canal Sur.




Vendredi 28 mai dernier, elle déclarait que le Maroc a dépassé «la limite de bon voisinage» pour avoir permis un «assaut des frontières espagnoles dans la ville autonome de Sebta».

Elle en oublie que la crise avec le Maroc est née sur fond des transfert, accueil et hospitalisation du chef du Polisario en Espagne, alors qu’il y fait l’objet de plusieurs plaintes pour torture, crimes de guerre et viols. La comparution devant un juge du chef du Polisario, mardi prochain, est une catastrophe pour l’Algérie qui voulait à tout prix éviter que son protégé ne soit traîné devant la justice.

Elle est aussi un échec pour l’exécutif espagnol qui n’a, à aucun moment, envisagé ce scénario quand il a donné à Alger son accord d’accueillir Brahim Ghali sous un nom d’emprunt.